20 juin 2001

On s’est pris la tête avec le gars du bus parce qu’on ne voulait payer que le prix normal. C’est vraiment compliqué de savoir quoi faire, comment agir pour le mieux quand on est dans un pays où la situation financière des gens qu’on côtoie est tellement inférieure à la notre. Un agriculteur dans le Sud du Vietnam, qui travaille 8 heures dans son champ, gagne 9FF par jour et donc un smicard français est 25 fois plus riche en argent que ce brave paysan. Dans le même temps, une soupe avec des nouilles et des légumes ne coûte que 1FF, mais il va devoir s’endetter sur 20 ans pour acheter un scooter qui vaut 10000F!!!

Alors, lorsqu’on débarque dans un pays comme le Vietnam, l’Inde ou le Laos, on ne sait plus très bien comment agir. Si on paie le prix normal, on se sent un peu coupable, on a un peu l’impression d’abuser de la situation. Ce n’est pas “normal” de payer 25F pour faire 400 kilomètres! Et puis, on se dit que si on paie un supplément, si ça peut améliorer la vie du chauffeur de bus, du contrôleur et du gamin dans la rue, pourquoi pas. D’autant que, avouons le, nous, ça ne nous coûte vraiment pas grand chose, et que, lui, c’est sûr, cela va lui améliorer son quotidien, et il a peut-être vraiment besoin de cette aide. Mais d’un autre côté, donner de l’argent sans compter (pour le pays où 1FF ce n’est pas rien) peut avoir de telles conséquences.

C’est que le tourisme n’a pas que des avantages pour un pays! On a lu un article d’un professeur d’économie au Laos qui parlait de l’ouverture de son pays au tourisme. Ce n’est pas simple. En gros, il y a les avantages évidents qui sont liés aux entrées de devises étrangères. Mais d’un autre côté, il y a tous les inconvénients.

On a décidé également de ne plus donner de cadeaux, de parfums, de stylos, de savons. D’abord parce qu’il y a plein d’endroits où les gens vivent en équilibre. Sans beaucoup d’argent, de “richesses”, mais en étant sans doute heureux. Vivre simplement n’est pas forcément vivre mal. Beaucoup n’ont pas de télé, de voiture, et même ont du mal à s’acheter du savon “de luxe”. Mais ils se lavent, ils ont une culture, une vraie identité, une solidarité et un sens de la famille qui a disparu chez nous. Et on n’a pas envie de contribuer à la destruction de cette fragile société en donnant à un gamin ce que le chef du village aura peut-être du mal à se payer.

Et puis certes, il y a les endroits où les gamins et les adultes ont besoin d’aide, pour vivre, manger, pour aller à l’école ou effectivement s’acheter du savon ou des stylos. Mais donner comme cela, de façon désordonnée, nous semble peu efficace et même tellement pervers quelques fois. Lorsqu’on donne, gamin ou adulte, on pense faire le bien, mais quelques fois… En Inde par exemple, il y a de vrais réseaux tenus par la mafia qui rackettent les mômes. Ils récoltent tout, stylos, bonbons et tout est revendu! On y loue aussi des bébés qu’on colle dans les bras de jeunes filles pour apitoyer les gens et récolter davantage. En donnant, on fait vivre la mafia! Pas facile de s’y retrouver. Au Laos, on “exporte” des mendiants en Thaïlande qui sont logés et nourris en échange d’un pourcentage de leur “recette”. Au Népal, au Vietnam, des mômes enfermés dans leur logique de recevoir, qui nous tirent la langue, nous traitent de radin (en anglais s’il vous plaît) si on refuse de donner. Souvent on entend “why?”. Pourquoi on refuse de donner? C’est devenu tellement naturel pour eux de recevoir. Ils sont alors en position de demandeurs, très souvent ils n’offrent rien en échange, et se retrouvent en position d’infériorité.

Au Népal toujours, des gamins se régalent des bonbons offerts par les marcheurs dans les montagnes. Mais certaines pistes de montagnes sont devenues de véritables autoroutes, les friandises affluent, et les caries aussi!!! Mais ils n’ont pas d’argent pour se soigner les dents. Véridique.

Dans les montagnes au Vietnam, les mamies restent toute la journée, le nez collé à la porte des hôtels, et espèrent vendre un bracelet, un pull… ou de l’opium. C’est tellement enrageant de les voir ainsi.

Alors que faire? On ne sait pas trop. Trouver un organisme humanitaire digne de confiance, installé, enraciné dans le pays. Une association qui dépensera intelligemment l’argent récolté. Et puis, faire vivre les gens, les petits commerces, les épiceries, les petits restos, etc. Mais en payant les choses au juste prix, ou un peu plus. Mais il ne faut pas que l’agriculteur abandonne son champ ou sorte son gamin de l’école pour vendre des cartes postales, comme c’est le cas dans déjà beaucoup d’endroits. Le mieux est encore quand la population réussit à canaliser le flot des touristes comme sur l’île de Taquile au Pérou, ou dans ce petit village de Madagascar, lorsque le village et ses représentants organisent l’hébergement et la restauration chez l’habitant, lorsqu’ils gèrent et distribuent l’argent. Dans ces endroits, on a l’impression que donner est utile. Tout comme on trouve aussi utile de donner aux vrais mendiants, ceux qui demandent aussi une pièce aux gens du coin et pas seulement aux touristes, et qui se contentent d’une aumône en rapport avec le niveau de vie de ces concitoyens…

Aujourd’hui, on est bien crevé, donc, on a dormi, mangé de la soupe, tenté une sortie, resté coincé par la pluie sous le porche de la poste, rentré en courant, une bonne sousoupe et au lit!

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